Mais que faites-vous de la honteuse collaboration de l’État français avec l’Occupant, dont parlent tous les historiens universitaires, académiques et mondains ; cette Collaboration dont la télévision française, incomparable outil culturel, ne cesse de nous entretenir de façon pluri-hebdomadaire ? Les archives du IIIe Reich démentent formellement l’idée d’une collaboration efficace de l’État français, surtout après les premières rafles de l’été 42, portant sur des femmes et des enfants juifs. Le maréchal refusera toujours l’imposition de l’étoile jaune aux Juifs de Zone Libre (Zone Sud, à compter du 11 novembre 1942), comme il refusera toujours la dénaturalisation en bloc des Juifs admis à la citoyenneté française depuis 1927 ou 1936. Seuls seront déchus les fuyards de mai-juin 40 et dénaturalisés ceux et celles, peu nombreux, jugés indignes après enquête des membres de la Commission de révision des naturalisations. Il est exact, en revanche, qu’il a éliminé l’influence juive de la vie politico-médiatique française et qu’il a limité la puissance économique des Juifs en introduisant un numerus clausus pour certaines professions… cette limitation proportionnelle à l’importance démographique d’une communauté au sein d’une Nation peut être considérée comme une mesure « démocratique », si l’on considère que la démocratie n’est que la loi du nombre. Mais que faites-vous des exécutions d’otages juifs ? Nul ne va, là non plus, les nier. Objectivement, toutefois, les autorités françaises ont tenté de limiter les dégâts provoqués par l’assassinat de soldats allemands désarmés à partir de l’été de 1941. Le cycle infernal attentats terroristes-fusillade d’otages fut un jeu pervers opposant le PCF clandestin à l’Occupant. En raison du grand nombre de Juifs étrangers parmi les activistes communistes, des Juifs firent partie des otages fusillés. La déportation de Juifs innocents et la mort d’un très grand nombre d’entre eux est-elle ou non à mettre, de façon partielle, au débit de l’État français ? Charles de Gaulle avait tranché cette question par la négative ; François Mitterrand aussi. Et l’on doit reconnaître, après étude approfondie (qui forme une grande partie du volume II de ce livre), qu’ils ont eu pleinement raison. Lorsque l’Occupant a commencé à rafler puis à déporter des Juifs, les autorités françaises ont systématiquement défendu les Juifs citoyens français et les Juifs étrangers ou apatrides décorés pour faits de guerre dans l’Armée française, ainsi que les épouses juives de prisonniers de guerre juifs ou non-juifs. C’est à cette occasion, soit durant l’été de 1942, que l’opinion française s’est transformée, passant de l’indifférence – voire d’une hostilité envers les Juifs jugés inassimilables et stupidement bellicistes durant le nouvel avant-guerre – à un soutien actif qui a permis de sauver environ 275 000 Juifs métropolitains de la déportation. Grâce à l’action vigoureuse de très nombreux Français : autorités et citoyens charitables, le pourcentage des Juifs déportés, adultes et enfants, fut l’un des plus faibles des pays occupés. Le cas du Danemark, étudié brièvement, est très particulier par la très faible importance numérique de la communauté juive et la proximité des côtes suédoises. Ceux de l’Italie et de la Bulgarie ont été dominés par les actions salvatrices personnelles du pape Pie XII et du délégué apostolique Roncalli, le futur Jean XXIII, très influent auprès du tsar Boris III. Si la majorité des Juifs citoyens français a été sauvée, c’est à la résilience des patrons de l’État français qu’elle le doit. Quant aux Juifs apatrides et ressortissants étrangers, si tant d’entre eux ont échappé aux racistes qui les traquaient, c’est grâce à la protection active de dizaines de milliers d’hommes et de femmes de France, avec l’approbation et la participation active des clergés chrétiens de toutes confessions, de nombreux maires et directeurs d’écoles. On rappelle qu’à compter du 11 novembre 1942, soit la date (lourde de symbole) de l’Occupation intégrale du territoire métropolitain dans les suites du débarquement anglo-US au Maroc et en Algérie, le maréchal Pétain et le président Laval n’ont plus exercé qu’un pouvoir très faible, quasi-symbolique, car dépourvu de tout moyen de pression sur l’autorité occupante. Un essai de conclusion ? On n’a nullement la prétention d’avoir clos le débat qui restera interminable, mais l’on a seulement voulu poser les jalons d’une discussion moins tumultueuse, s’appuyant davantage sur les archives publiées, sur l’évidence des faits que sur le ressentiment communautaire. Est-il licite, en période de monstrueuses calamités, de sacrifier des étrangers et des apatrides pour sauver un maximum de citoyens, membres à part entière de la communauté nationale ? La réponse donnée à cette question en France, de la Libération à nos jours, est trop entachée de haine pour être satisfaisante, car, à l’évidence, un vrai chef d’État a pour devoir premier de protéger sa Nation. L’État d’Israël, de mai 1948 à nos jours, est la parfaite illustration de cet égoïsme communautaire considéré comme essentiel à la survie de la Nation en état de péril. Aucune statistique fiable n’existe permettant d’estimer le nombre des Juifs séjournant sur le sol métropolitain durant l’Occupation, ou d’estimer, de façon approximative, le nombre des Juifs sortis vivants des camps nazis. Toute discussion sur ce point est systématiquement biaisée par le fait que les non-citoyens français n’avaient guère de raison de revenir dans une France appauvrie, où les dégâts des bombardements et les haines politiques n’étaient que trop évidents. En fin de compte, l’actuelle repentance sur cette question est un nouveau paradoxe français, de nature politico-médiatique : elle s’est développée dans le pays d’Europe continentale qui, en valeur absolue, a sauvé le plus grand nombre de Juifs de la déportation, donc de la mort. Quant à l’omniprésent « devoir de mémoire », quotidiennement célébré dans les médias français, force est de remarquer qu’il n’a nullement empêché la multiplication des génocides, de 1945 à nos jours et sur tous les continents. C’est assez dire que le sujet traité mérite d’être étudié, puis médité de façon rationnelle et non pas seulement émotionnelle.
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