Quel but a poursuivi l’auteur de ce livre, considéré depuis un siècle comme un classique incontournable de la question juive ? Il a semblé à Bernard Lazare qu’une opinion aussi universelle que l’antisémitisme – ayant fleuri dans tous les lieux et dans tous les temps, avant l’ère chrétienne et après, à Alexandrie, à Rome et à Antioche, en Arabie et en Perse, dans l’Europe du Moyen Âge et dans l’Europe moderne, en un mot, dans toutes les parties du monde où il y a eu et où il y a des Juifs – ne pouvait être le résultat d’une fantaisie et d’un caprice perpétuel, et qu’il devait y avoir à son éclosion et à sa permanence des raisons profondes et sérieuses. Aussi a-t-il voulu donner un tableau d’ensemble de l’antisémitisme, de son histoire et de ses causes ; il en a voulu suivre les modifications successives, les transformations et les changements. Dans une telle étude, il y aurait eu la matière de plusieurs livres… L’auteur a été par conséquent obligé de resserrer le sujet, d’en montrer les grandes lignes et d’en négliger le détail et n’a donc pas montré quel a été dans le monde le rôle intellectuel, moral, économique et révolutionnaire du Juif, rôle qu’il ne fait ici qu’indiquer. Si l’on veut faire une histoire complète de l’antisémitisme – en n’oubliant aucune des manifestations de ce sentiment, en en suivant les phases diverses et les modifications – il faut entreprendre l’histoire d’Israël depuis sa dispersion, ou, pour mieux dire, depuis les temps de son expansion hors du territoire de la Palestine. Partout où les Juifs, cessant d’être une nation prête à défendre sa liberté et son indépendance, se sont établis, partout s’est développé l’antisémitisme, ou plutôt l’antijudaïsme, car antisémitisme est un mot mal choisi, qui n’a eu sa raison d’être que lorsqu’on on a voulu élargir cette lutte du Juif et des peuples chrétiens, et lui donner une philosophie en même temps qu’une raison plus métaphysique que matérielle. On a accusé Bernard Lazare tout à la fois d’être antisémite ou trop compatissant envers ses corréligionnaires… Qu’en est-il ? On lui a reproché à la fois d’avoir été antisémite et d’avoir trop vivement défendu les Juifs, et pour juger ce qu’il avait écrit, on s’est placé au point de vue de l’antisémitisme ou à celui du philosémitisme. On a eu tort car il n’a été ni antisémite, ni philosémite ; il n’a voulu écrire ni une apologie, ni une diatribe, mais une étude impartiale, une étude d’histoire et de sociologie. Bernard Lazare n’approuvait évidemment pas l’antisémitisme qu’il considérait comme une conception étroite, médiocre et incomplète, mais il a tenté de l’expliquer. Il n’était pas né sans causes, il a cherché ces causes. A-t-il réussi à les déterminer ? C’est à ceux qui liront ces pages d’en décider. L’antisémitisme son histoire et ses causes de Bernard Lazare, éditions Déterna, collection « Documents pour l’Histoire », dirigée par Philippe Randa, 336 pages, 37 euros
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