Comment vit-on d'être née d'une mère eurasienne et d'un père militaire français ? Difficilement ou… autrement que née de deux parents français ou asiatiques ? Être née d'un père militaire français qui était dans la Coloniale m'a apporté des valeurs chères à mon cœur : l'éducation, le respect, mais aussi l'amour des voyages puisque mes parents voyageaient avec mes frères et moi. J'ai des souvenirs d'enfance au Tchad et en Algérie. Mon père avait acheté une caméra où l'on me voit à Bobo Dioulasso, Moussoro, Oran, Marnia, Fort-Lamy. La légion d'honneur que mon père avait eue en Indochine m’a permis d’être scolarisée à l'école des Loges, maison d'éducation de la légion d'honneur, avec un parcours riche en rencontres, mais où la discipline était le mot clef… Toutes ces richesses éducatives m'ont permis d'avancer dans la vie, et aussi d'être très sensible au devoir de mémoire. Être née d'une maman eurasienne, est-ce un parcours de vie plus difficile ? Ma mère est née en 1921 au Tonkin, d'un père inconnu légalement présumé français et d'une maman tonkinoise avant d’être abandonnée chez un oncle lorsqu'elle avait six ans. De son père, elle n'avait qu'une unique photo, celle qui est sur la couverture de mon récit autobiographique Les Trois Cousines en Indochine. Cette photo qu'elle avait ramenée d'Indochine, en 1947, elle l'a cachée pendant de très nombreuses années. De plus, le fait d'être illettrée, car elle n'avait pas pu aller à l'école, l'avait marqué jusqu'au plus profond de sa chair. Mais c'était sans compter sur le destin providentiel. Mes parents ont eu neuf enfants, huit garçons… et une fille : moi. Le fait d'avoir autant d'enfants ne laisse guère le temps d'avoir des états d'âme, mais ma mère ne voulait pas parler de son enfance douloureuse, le métissage, l'abandon, l'illettrisme… Que vous a apporté et changé dans votre vie, votre quête d'identité entre deux cultures ? Contaminée par le Mal Jaune depuis l'âge de mes dix ans, je n'ai eu de cesse de poser des questions à ma mère sur l'Indochine et sur son passé. Des questions sans réponse, jusqu'au jour où, enfin, elle m'a montré et donné l'unique photo de ses parents. Cette photo qui a un pouvoir miraculeux, mais cela je ne le savais pas encore… En 2010, j'ai fait un premier voyage au Vietnam car ma famille vietnamienne, perdue depuis 1947, venait d'être retrouvée. Quels sont les moments forts vécus lors de votre découverte du Vietnam ? J'ai été sur la route coloniale, la RC4, à Langson, That Khe, Dongke, Cao Bang, Sontay, Vietri. J'ai ressenti l'âme du pays de mes racines maternelles vietnamiennes. C'est pourquoi, lorsque je suis rentrée en France, j'ai décidé d'écrire, de raconter, et de témoigner de cette histoire d'amour au-delà des guerres et des frontières. C'était la première fois de ma vie que j'écrivais. Il fallait laisser une trace pour aider les personnes en recherche de leurs racines, ou ayant un secret de famille. Surtout leur dire qu'il ne faut jamais lâcher prise. Zao Wou ki, célèbre peintre chinois, disait : « L'œuvre appartient à celui qui reçoit la lumière ». J'espère que les personnes qui liront Les Trois Cousines en Indochine recevront la lumière. Les Trois Cousines en Indochine de Dominique Féger, Éditions Dualpha, Collection « Documents pour l'Histoire », dirigée par Philippe Randa, Préface d’Alain Sanders, 182 pages, 25 €.
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