|
|
 |
Après avoir écrit sur des auteurs récents (Kubrick, Ridley Scott), vous vous intéressez à un « classique » ? Oui, mais Hitchcock n’est pas tout à fait un classique. Il est un éternel. Un peu comme Fritz Lang. Ces deux géants viennent du muet et ils traversent les siècles. Hitchcock a inventé le cinéma d’aventures modernes avec sa Mort aux trousses (que je rebaptise Mère aux trousses) ; il nous a mis dans la matrice du cinéma d’action comme on dit, et on n’en est pas sorti… D’un autre côté, il est un génie des dialogues et du portrait psychologique, en particulier de certains types de femme. C’est un roi des huis clos avec peu de personnages : voyez Sueurs froides, Les Oiseaux et bien sûr Psychose. Avec trois personnages, on montre que l’enfer c’est (presque) toujours les autres. J’ajoute que le journaliste Serge de Beketch avouait que Sueurs froides avait changé sa vie : c’est logique puisque ce film montre le monde tel qu’il est : une immense duperie. Pourquoi ce livre sur Hitchcock et les femmes précisément ? Il a dit lui-même que plus réussi est le méchant, meilleur est le film. Or, je ne crois pas que ce soit vrai. Le méchant est vite abusif, excessif ou stressant. Il vire vite à la parodie dans plusieurs films. Celui de L’inconnu du nord-express est un personnage caricatural et ridicule et il n’est pas le seul (sa mère est par contre passionnante, malgré son petit rôle). Hitchcock a raté d’autres méchants comme dans Frénésie, son dernier film intéressant (on voit la destruction du Londres traditionnel de Sherlock Holmes). Il me semble au contraire que ses meilleurs films, surtout en technicolor, sont ceux où la femme resplendit. Ce sont donc les films où la femme – le personnage féminin – est la meilleure qui sont les plus puissants dans son cinéma d’auteur absolu. Je pensais aussi à la plastique extraordinaire qui se dégage de Grace Kelly ou de Kim Novak, à la magie discrète de Suzanne Pleshette dans Les Oiseaux (personnage le plus émouvant du film, et de loin). Dans ce film, Hitchcock a enlaidi cette très belle actrice pour renforcer la malédiction de son caractère. Elle a renoncé à la vie et au bonheur à cause de son échec amoureux. Et elle explique tout cela à Mélanie qui va connaître aussi un sort horrible. Cet homme est une trappe… Vous distinguez de nombreux types de femmes… Dans Rebecca, on a un très beau personnage de complexée. Joan Fontaine, dont le personnage n’a pas de nom (!), reste un animal de compagnie. Elle est hantée par le vrai personnage du film, absente divinisée dont le contexte fait un monstre, et qui semble avoir été ennuyée par un mari benêt. Le complexe alimente sa maladresse. On a vu l’institutrice dans Les Oiseaux. À l’inverse, on a les culottées, comme Mélanie dans Les Oiseaux. Hitchcock aime bien les culottées car il les punit goulûment ! Voyez Psychose ou Sueurs froides… Comment expliquer ce besoin de punir la femme… C’est lié à son obsession de Victorien Sardou, auteur théâtral du milieu du XIXe siècle qui disait qu’il faut punir la femme. Je recommande son théâtre culotté et moderne, qui dépeint la femme libre et chahuteuse américaine. Hitchcock adorait aussi Madame Bovary, où Flaubert ne rate pas son personnage mille fois plus populaire que la pâle créole de son Éducation sentimentale. En réalité, bien punir la femme, c’est se garantir un vrai succès et triompher de l’adversité – l’impopularité de l’œuvre. La punition de la femme reflète aussi sa libération : de Marnie à Frénésie, on voit poindre ce fil rouge de sang. On peut en tirer toutes les explications que l’on veut et se tromper. Car le ressort est dramatique avant tout et c’est pourquoi ces films nous hypnotisent soixante ans après, beaucoup plus que les femmes fatales trop vantées de leurs films noirs, femmes qui se contentent d’apporter la scoumoune à un mâle bien falot… Vous aimez bien citer le livre de Truffaut, pourquoi ? C’est une rencontre extraordinaire et Dieu sait que je n’aime pas Truffaut qui a incroyablement vieilli comme tout le cinéma de la nouvelle vague. Au moins, il a bien laissé s’expliquer le Maître, et il a compris une clé (il y en a mille) de Sueurs froides ; deux hommes – deux maîtres – déguisent et fabriquent une femme, comme des metteurs en scène de cinéma. C’est le thème de la copie, de l’être artificiel et creux qui devient un simple habitacle. En même temps, c’est le plaisir de fabriquer une poupée parfaite ! Mais le génie du film vient avant tout de sa réflexion sur la tromperie. Vous évoquez beaucoup les décors… Oui, on a Joan Fontaine perdue dans le château gothique, Mélanie perdue dans la maison de la mère, Janet Leigh paumée dans le motel (venu d’Orson Welles et de la géante soif du mal), face à la vieille maison hantée ; on a la maison nazie des Enchaînés, histoire alambiquée, mais plus beau rôle d’Ingrid Bergman ; on a La Maison du docteur Edwardes, très beau titre en français qui montre le côté labyrinthique, fabriqué d’un décor qui a tout de psychanalytique. Goethe disait que l’architecture est de la musique solidifiée, ici elle est de la psychologie solidifiée. Je pense aussi à la maison extraordinaire de James Mason dans La Mort aux trousses. C’est le lieu où l’ogre se régale de sa victime, le lieu du minotaure… Hitchcock construit des palais minoens pour engloutir ses victimes. Et votre scène de film hitchcockien préférée ? Celle où James Stewart reconnaît le collier sur le cou de Kim Novak et se rend compte qu’il a été dupé, qu’il a aimé une simple copie. Ce monde moderne, comme dit Guénon, ce n’est jamais qu’une illusion. Hitchcock et les femmes, Nicolas Bonnal, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l’Histoire », 212 pages, 25 euros.
|
|