Pourquoi encore un livre sur l’Algérie et les Pieds-Noirs après tout ce temps ? Justement parce que plus le temps passe et plus la mémoire s’efface pour les nouvelles générations nées en métropole après l’arrivée de leurs parents d’Algérie en 1962. D’autant que je me suis attaché surtout à relater une autre aventure : celle des Espagnols du milieu et de la fin du XIXe siècle qui, fuyant la misère, voulaient trouver une vie meilleure dans l’Oranais, terre espagnole pendant trois siècles, avant de devenir française en 1831, avec un bref intermède ottoman. Vous évoquez longuement la conquête française et l’établissement des 48 colonies de peuplement de 1848, dont l’une des premières dans le village désolé de Saint Cloud, près d’Oran, en même temps que l’histoire extraordinaire du village de Dalias, proche d’Almería et dont une partie de la population, entre beaucoup d’autres, va rejoindre Oran et sa région. Oui, car cet héritage espagnol, durement acquis, m’a touché, et cette mémoire espagnole s’est très estompée avec la francisation de ceux qui constituaient 80 % de la population de l’Oranais, dont celle de Saint Cloud. C’est cette fierté des origines espagnoles que j’ai voulu restaurer et rappeler à ceux qui l’ont trop vite oubliée avec parfois une part de honte. Au travers de cette « épopée » migratoire du sud espagnol, dont vous décrivez le contexte et les motivations, vous suivez l’histoire de cinq générations d’une famille andalouse de 1879 à 1962. Pourquoi ? J’ai souhaité faire vivre plus concrètement l’histoire d’une colonisation qui n’en est pas une en réalité, en m’appuyant sur l’évolution difficile de la vie très dure de la famille Villegas qui, arrivée dans la misère en 1879 est partie presqu’aussi démunie en 1962 pour un pays qui n’avait jamais été le sien et qu’elle ne connaissait pratiquement pas, en France métropolitaine. En outre, j’ai voulu casser l’image d’Épinal des Pieds-Noirs dépeints comme arrogants, propriétaires d’orangeraies gigantesques, et durs avec les Arabes. La réalité était tout autre : 95 % des Européens, et principalement ceux d’origine espagnole, vivaient souvent chichement, comme beaucoup de petits fonctionnaires, commerçants, tout petits exploitants de deux ou trois hectares de vignes, qui travaillaient douze heures par jour pour y arriver. Ce n’étaient pas des « exploiteurs » qui auraient fait « suer le burnous » à des Arabes à demi esclavagisés !!! Cette image détestable, fabriquée en métropole pour stigmatiser les Pieds-Noirs (seuls quelques-uns pouvaient rentrer dans cette image) et empêcher qu’on puisse s’apitoyer sur eux, doit être détruite pour l’avenir. Vous évoquez longuement le rêve de Napoléon III de faire de l’Algérie « non pas une colonie mais le Royaume arabe d’Algérie ». Cet aspect a été oublié de la politique de la France en Algérie. Napoléon III admirait et respectait Abd-el-Kader. Il aurait voulu faire de l’Algérie autre chose qu’une colonie, ce qui lui a attiré des ennemis parmi les militaires et les colons d’alors. Cette opposition entre le pouvoir central et la réalité algérienne est emblématique du malheur algérien : en 1860, Napoléon III voulait une Algérie véritable prolongation de la France, à égalité de droits, contre les colons, les militaires et les ambitions capitalistiques ; à l’inverse en 1960, Charles de Gaulle voulait abandonner l’Algérie contre les militaires et ses habitants souvent séculaires ; eux qui étaient devenus proches des ambitions napoléoniennes. Que de malentendus dans cette tragédie algérienne. Vous insistez enfin sur le rejet du mot « rapatriés d’Algérie ». Pourquoi ? « Rapatriés » signifie qu’on revient dans sa patrie d’origine. 80 % de la population de l’Oranais ne connaissait pas la France, sauf exceptions, et leur mémoire se limitait à leur origine d’Almería, de Murcie ou de Carthagène et à la vie de leurs pères dans l’Oranais. Là encore, le choix des mots a une connotation politique : il ne s’agissait pas de « rapatriés » mais de « dépatriés » ce qui n’a pas du tout la même connotation charnelle. L’écume de la mémoire de Richard Dessens, éditions Dualpha, collection « Vérités pour l'Histoire », dirigée par Philippe Randa, 212 pages, 27 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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