Esclavage et traite des Noirs seraient donc deux choses différentes ? Ce ne sont surtout pas les mêmes acteurs. Remettons les choses dans leur contexte : afin d’assurer leur autonomie vis-à-vis des produits précieux importés, les pays européens colonisent et exploitent des terres situées sous des latitudes favorables à la culture de ces produits : café, sucre, tabac, cacao, indigo. Ils encouragent les colons à s’y établir, mais manquent de main-d’œuvre prête à s’exiler en s’éloignant de la civilisation. À cette époque, la France et l’Angleterre sont des phares mondiaux. De France, Colbert envoie les orphelins et enfants trouvés tirés des hôpitaux, leur donnant ainsi une meilleure chance de réussir leur vie qu’en métropole, mais cela est très insuffisant. Au XVIIIe siècle, on envoie de force des mendiants, prostituées, fils de famille dévoyés, et toujours des orphelins et enfants trouvés, bref, toutes personnes susceptibles de se rendre utiles dans les îles au lieu d’être une charge pour la société française. Mais le succès des produits exotiques réclame encore plus de main-d’œuvre pour leur culture et leur transformation, alors que les volontaires sont rares. D’où l’idée d’intégrer dans la société européenne, civilisation la plus développée, des éléments étrangers que cette promotion pourrait tenter, dans le sens d’un progrès. Donc des esclaves venant d’Afrique ? S’il est éradiqué depuis bien longtemps en Europe, l’esclavage, qui existe depuis des siècles, est toujours un des modes de fonctionnement de l’Afrique. Ainsi, les Barbaresques réduisent leurs prisonniers, européens ou africains, en esclaves et main-d’œuvre de courte durée, les castrant pour les empêcher de se reproduire et les exploitant sans ménagement, entraînant leur mort rapide. Dans les tribus africaines même, l’esclavage est un mode de vie, celui des femmes, de leurs enfants qui sont la propriété des pères, voire du chef ; les hommes engagent leur liberté lors de jeux de hasard et acceptent ce statut, souvent temporaire. C’est là que les Européens vont se fournir en main-d’œuvre, vendue par les chefs et leurs courtiers, car rares sont les personnes pouvant disposer d’elles-mêmes et partir par choix. Pendant longtemps, les Européens ne descendent pas à terre et attendent sur leurs navires les esclaves qu’on leur amène. Les chefs sont maîtres de ce marché, l’esclavage n’étant pas le fait des Européens, mais le statut antérieur de leurs futurs passagers.
Quel est le statut de l’esclave dans les îles ? Le Code noir de Colbert vise à protéger tant l’esclave que le maître appelés à former une nouvelle société, spécifique aux îles. Le maître exerce un rôle de parent sur l’esclave, juridiquement considéré comme mineur, ce qu’il est réellement, la majorité d’ordonnance étant fixée à 30 ans pour l’homme, 28 ans pour la femme, puis la majorité de coutume à 25 ans. Le temps de l’esclavage est mis à profit pour « mettre à niveau » ces nouveaux venus afin de pouvoir les intégrer dans la société française, à travers l’apprentissage de la langue, l’instruction dans la religion catholique et la formation professionnelle, qui représentent le cadre de vie de tout sujet du royaume. L’esclavage est alors une période initiatique qui conduit la personne à la conquête de ses pleins droits de sujet français, ou européen, obtenus à sa libération et transmissibles à ses descendants. La désinformation autour de la traite des Noirs, de Christian De la Hubaudière, éditions Dualpha, 174 pages, 21 euros.
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