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Peu d’historiens avaient abordé ce sujet des musiciens sous le IIIe Reich. Comment l’expliquez-vous ? En réalité, un certain nombre d’auteurs, qu’on peut diviser en trois catégories, se sont penchés sur le sujet : ceux qui ont traité de la musique sous le IIIe Reich (compositeurs et interprètes) de manière générale, d’un point de vue universitaire, souvent rébarbatif et bien entendu totalement partisan. Ceux (anglo-saxons pour la plupart) qui se sont intéressés plus particulièrement à la fameuse « dénazification » pratiquée par les « Alliés » (= punition + repentance + rééducation), dont les artistes emblématiques du régime ont évidemment, et diversement, fait les frais en priorité. Enfin, et le phénomène est un peu plus récent, ceux dont la curiosité a été piquée par les goûts et les préférences d’Adolf Hitler en matière artistique et, en particulier, musicale. J’ai souhaité, à l’intention des mélomanes curieux désirant se constituer une discothèque historiquement incorrecte « de base », faire une sorte de synthèse en extrayant de ma discothèque personnelle une quarantaine de disques dits « de référence », réunissant ces trois éléments. Nous avons donc là des enregistrements « légendaires » (IXe de Beethoven de Furtwängler à Bayreuth en 1951, VIIe de Bruckner par Kabasta en 1942, Noces de Figaro par Krauss en 1942, « Les derniers enregistrements » d’Elly Ney, etc.), interprétés par les artistes les plus « compromis » (dont les biographies sont évoquées dans l’ouvrage) et encensés par le Führer. Vous faites la différence avec ceux qui ont joué sous le régime hitlérien sans adhérer au national-socialisme… et ceux qui professaient ouvertement leur soutien au régime. Quelles ont été les plus nombreux ? Entre parenthèses, je ne pense pas qu’on ait pu faire une « carrière » musicale sous le IIIe Reich sans être au moins « sympathisant » du régime, même si l’on n’était pas officiellement encarté au NSDAP… A priori, on ne devait pas croiser beaucoup d’« antinazis » militants parmi les musiciens du Berliner (Philharmoniker) ou du Wiener ! Joseph Goebbels veillait au grain et n’hésitait pas à critiquer et menacer ceux qu’il jugeait comme n’étant pas assez « idéologiquement concernés » (à l’instar de Knappenbush, Strauss, ou Furtwängler à une époque…). Cela dit, on peut effectivement considérer quatre catégories de compromission chez les musiciens. 1) Les « authentiques convaincus » : ceux qui professaient ouvertement leur soutien au régime (Elly Ney (la « pianiste du Führer » [sic !]), Böhm, Schwarzkopf, Gieseking, Backhaus, Graener, Egk, Tietjen, Krauss, Pfitzner, Trapp, Mengelberg). 2) Les « opportunistes » : souvent les plus « jeunes » et les plus ambitieux qui n’avaient, en terme d’évolution de carrière, pas d’« autre choix » (Karajan, Orff). 3) Les « discrets » : pas franchement opposés au régime, mais ne désirant pas trop se « mouiller » (Jochum, Abendroth). 4) Et enfin, ceux que j’appellerais les « louvoyants » : un jour adulés par le régime, le lendemain vilipendés, en fonction de leurs prises de position fluctuantes (Fürtwangler, Strauss). Ironiquement, ce sont ces deux derniers (peut-être les moins « nazis » d’entre tous !) qui, aujourd’hui encore, représentent aux yeux des historiens le symbole ultime de cette fameuse compromission… Mais pour répondre à votre question, je pense que les « convaincus » constituaient cependant le contingent le plus important. Certains artistes ont-ils été plus persécutés que d’autres à la chute du régime ? Y a-t-il eu beaucoup de « repentants » ? La dénazification s’est effectuée au cas par cas et de ce fait, les destinées des « musiciens maudits » furent très dissemblables. Assez logiquement, les plus « convaincus » furent les plus longs à dénazifier (Trapp en 1950, Ney en 1952 !). D’autres, grâce à leur immense notoriété internationale, et aussi (surtout ?) à leurs relations, purent reprendre leurs activités assez rapidement (Schwarzkopf, Karajan). Certains passèrent miraculeusement à travers les mailles du filet et furent à peine, voire pas du tout inquiétés (Egk, Orff). Pfitzner, Maria Müller et Mengelberg moururent malades, ruinés et oubliés. Abendroth fut « récupéré » par les Russes et fit (une belle) carrière en Allemagne de l’Est ! Les plus « repentants », ou en tout cas ceux qui fournirent le plus d’efforts pour se dédouaner, malgré leurs antécédents notoirement nauséabonds, furent sans conteste Furtwängler et Orff, avec un certain succès d’ailleurs : « Furt » reprit sa carrière dès 1947 (en Italie) et Orff, déclaré contre toute attente par les membres de l’Information Control Division (ICD) « gris, acceptable » (les individus les moins compromis !), poursuivra la carrière que l’on sait jusqu’en… 1982, année de sa disparition. Les musiciens maudits, Paul-Louis Beaujour, Éditions Déterna, 142 pages, 21 euros.
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