Description
Cette étude comparatiste entre deux poètes vivant à la même époque, avec des épreuves assez semblables, permet une réflexion sur l’approche de la création à partir de la mort d’un être cher. La mort de leur mère, alors que les deux auteurs sont encore très jeunes, va intensément déterminer leur créativité.
Sorte de résilience, la création va faire revivre l’être absent et le plus marquant de l’enfance : la mère. Cette dernière va prendre les aspects multiples et inattendus, mais surtout obsédants – le rôle des femmes – dans les œuvres respectives.
La réalité des écrivains est alors déniée pour laisser libre cours au rêve, à l’étrange et, in fine, à la dimension inconsciente de chacun.
C’est ainsi que le rêve va prendre le pas sur la réalité, amenant à penser que la mort n’est pas un terme clos, défait de sens, il est personnifié, il n’est pas néant et séparateur de l’existant, mais devient, grâce à l’écriture poétique, un trait d’union entre le monde réel et le monde imaginaire.
« Le rêve est une seconde vie », écrit Gérard de Nerval dans Aurélia.
C’est bien l’écriture qui assure la continuité des poètes à travers les étapes de leur vie. La mort devient l’aboutissement alors de l’œuvre humaine ainsi que de l’œuvre créée. C’est pourquoi le poète est un passeur, selon l’expression de la mythologie grecque attribuée à Charon. Mais pour l’heure, le passage est réversible entre l’univers du désir et l’univers du destin.
Le parallélisme entre ces deux sensibilités poétiques est ressenti par le fait que Gérard de Nerval et Edgar Allan Poe ont vécu tous deux des périodes extrêmement difficiles : dépressions, tentatives de suicide, problèmes financiers graves, abandons répétés des femmes aimées…
Les seules personnes attentives qui les soutiendront, seront leur tante : Maria Clemm pour l’auteur américain et Jeanne-Anne Labrunie pour l’auteur d’Aurélia. Le contexte social et psychologique va contribuer également, comme creuset, à une forme littéraire atypique de leurs styles toutefois différents.
Avec leur œuvre, la mort n’est plus un fait banal, anonyme, quotidien qu’on ne remarque même pas ; elle devient cérémonie ritualisée et accompagnée de l’amour. La femme est à la fois la victime, mais aussi l’initiatrice permettant d’ entrer dans le domaine mystérieux de l’inspiration poétique. L’idée obsédante du manque de la mère conduit le poète à travers le monde secret de l’intuition créatrice. De l’absence de la mère naît ainsi la femme présente en l’œuvre qui s’origine dans la vie.
Si chez Gérard de Nerval, elle est éthérée à la fois un ange, une fée lointaine, une sirène aux cris étourdissants, toujours inaccessibles alors chez Edgar Allan Poe, elle vit pour mourir en se réincarnant, elle a toutes les caractéristiques d’une « inquiétante étrangeté » ; restant, alors une femme accessible et fidèle.
Une seconde naissance se fera par la mère « morte », celle qui conduit à attiser l’imagination.
La mère comme archétype de la femme, guide intitiatiquement ces deux poètes à travers les arcanes de la mort.
Ainsi, l’art poétique côtoie la mort pour mieux naître la vie.